Depuis une quinzaine d’années que je navigue dans les mers du logiciel libre, et plus particulièrement de Linux1, j’entends en permanence des arguments du style:

Non mais Linux c’est compliqué, pi ça bug tout le temps.

Jean-Michel Petitlogiciel et Caroline Pomme

# Le contexte

Ce qui m’a poussé à écrire ce billet, c’est les titres de trois articles qui ont été postés sur (son site perso puis relayé sur) Le journal du hacker, le même jour et venant de la même personne. Le but n’est pas de faire une attaque envers cette personne que je ne connais pas, ni d’analyser le fond des articles. En revanche, ça me dérange de voir sans arrêt passer ce genre de messages, surtout venant de la part de personnes voulant faire progresser le logiciel libre. Semer le doute comme ça c’est, à mon avis, une technique contre-productive si on veut permettre à un maximum de personnes de sortir du MacOS ou Microsoft Windows. D’ailleurs, si son auteur veut en discuter, je me rendrai volontiers disponible. Les articles titraient:

  • Quelle distribution Linux choisir?
  • Linux est-il stable?
  • Comment avoir un ordi sous Linux qui ne bug pas?

On voudrait faire peur aux néophytes qu’on s’y prendrait pas d’une autre manière. Je pense qu’il faut arrêter d’entretenir la fable comme quoi les systèmes autres que MacOS et Windows pourraient être moins stables. Oui, il y a des bugs sur Linux, oui des fois ça fait pas ce qu’on veut, mais pour un usage normal je suis persuadé qu’il y a plus de soucis avec un Windows.

# Administration vs usage

Alors déjà, il faut commencer par comparer ce qui est comparable, souvent on compare l’usage d’un ordinateur livré avec un système d’exploitation, en général Windows ou MacOS avec l’installation d’un système sur un ordinateur complètement vide. C’est à mon avis de là qu’est la source de la croyance populaire qui définit Linux comme un système compliqué.

J’ai l’impression que pour un usage normal, le temps d’adaptation au changement de système d’exploitation est très faible. Ce qui peut prendre du temps c’est d’apprendre à utiliser d’autres logiciels. Donc pour une transition en douceur, on peut commencer par le navigateur, la suite bureautique (LibreOffice) ou le client mail…

# Du coup, à installer c’est compliqué?

Alors pour le faire régulièrement, installer un Windows (je ne parlerai pas de MacOS car je ne l’ai jamais fait) me semble plus compliqué, plein de questions et souvent pas les bonnes, et il faut ensuite installer plein de drivers et des logiciels de base comme une suite bureautique (forcément, il faut l’acheter) ou un vrai lecteur multimédia. Alors qu’avec une distribution2 Linux grand public du style de Linux Mint ou Ubuntu, c’est relativement simple3, ça télécharge ce qu’il faut pendant l’installation et une fois terminée, on a un ordinateur utilisable.

C’est certain qu’il y a 15-20 ans, l’installation était plus hasardeuse, mais celle de Windows était également compliquée. Et maintenant c’est réglé.

# Mais Linux ça plante pas?

Un bug vient d’une erreur dans le programme ou de dépendance, par exemple si mon logiciel utilise une librairie qui a changé de version et modifie son comportement, si le logiciel ne s’adapte pas lorsque je mets à jour ma librairie, je risque d’avoir des problèmes.

Contrairement à Windows, avec la majorité des distributions2, les logiciels sont vérifiés avant d’être mis à disposition des utilisateurs et utilisatrices4, ce qui garanti une compatibilité et une stabilité. Et ça évide de mettre le cheni dans son système comme on le voit fréquemment avec les solutions pour résoudre un problème sur Windows.

En général, il faut faire le choix entre avoir des logiciels à jour et les risques d’avoir des petits bugs, par exemple Mozilla Thunderbird, le client mail, est disponible sur Ubuntu 21.10, la distribution Ubuntu la plus récente, en version 91.1.2. En revanche, sur Ubuntu 20.04 LTS , la version stable à long terme, qui garanti des mises à jour pendant cinq ans (contrairement à 9 mois pour les autres), la version proposée est uniquement la 78.13.0.

Du coup, de mon expérience, un système installé dans une optique “stable”, sans chercher à avoir toujours les dernières versions, ce qui n’est pas un problème pour l’utilisateur et utilisatrice moyenne, ne plante pas, contrairement à des mises à jour qui cassent tout sur d’autres systèmes.

# Conclusion

Après ma découverte de Linux, et surtout après avoir un peu compris son fonctionnement, je me suis évertué à déconstruire à chaque fois que quelqu’un me faisait une remarque sur sa complexité ou sa stabilité.

Du coup, on arrête de questionner la stabilité et la complexité des systèmes Linux.

  • Non, Linux n’a pas de problèmes de stabilité.
  • Oui, Linux est autant accueillant, si ce n’est plus, que ses concurrents.
  • Oui, il y a moyen de bidouiller et de rendre Linux moins stable, tout autant que les autres systèmes, mais il y a surtout moyen de le configurer exactement comme on le désire.
  • Non, Windows n’est pas un système simple à utiliser, c’est juste celui dont la majorité à l’habitude.
  • Oui, certaines distributions sont plus adaptées au grand public que d’autres.

Si vraiment, on peut parler de problèmes liés à certaines distributions, il y en a des moins stables que d’autres, mais il faut absolument arriver à faire sortir de la tête du monde que “Linux c’est peut-être pas stable”. Et c’est pas pour rien que c’est ce qui tourne sur la majorité des serveurs web. Pour l’ordre de grandeur, plus de 75 % des serveurs c’est des Unix, et là-dedans y a 50 % qui sont des Linux et 50 % dont on ne sait pas ce qu’ils sont. Sachant que Windows est sur 20 % des machines.

La bonne nouvelle avec Linux c’est qu’avec un tout petit peu d’apprentissage, vous pourrez avoir le système qui vous convient réellement, pas un système qui vous impose ses choix en permanence. Récupérez votre vieil ordinateur, tentez d’y installer Linux Mint ou Ubuntu et découvrez. Et si vous ne vous sentez pas de le faire seul·e, participez à des install party et rejoignez des coopératives comme itopie pour les genevois·e·s, les autres je vous laisse chercher.

Bonne découverte!


  1. Alors oui, il faut dire GNU/Linux en général car Linux ne désigne que le noyau du système d’exploitation, alors que GNU désigne la suite logicielle qui vient avec. Certains systèmes n’utilisent pas le noyau Linux mais son alternative Hurd, comme une Debian GNU/Hurd ou Arch Hurd, et à l’inverse, Android et ses dérivés utilisent le noyau Linux sans GNU. Pour plus d’informations je vous laisse lire l’article Wikipedia sur le sujet.
    Bref, ici j’utiliserai toujours Linux pour simplifier la lecture des néophytes.
    De plus, il y a tellement de distributions2 différentes, je vous laisse jeter un oeil à une infographie trouvée sur Wikipedia, ou en backup ici, pour vous rendre compte de l’étendue des possibilités. ↩︎

  2. Dans le cadre d’un système d’exploitation, une distribution désigne un ensemble de logiciels capable de rendre un ordinateur utilisable. En général, elle contient: un noyau, comme GNU/Linux; une liste de paquets, des programmes à installer; un système pour installer ces paquets; un utilitaire de configuration.
    Contrairement au fonctionnement chez Apple ou Microsoft, avec GNU/Linux tout le monde peut créer son système d’exploitation. Il y a donc une pléthore de distributions plus ou moins différentes. Les plus grosses étant Ubuntu, Manjaro et Fedora↩︎ ↩︎ ↩︎

  3. On peut aller au plus simple et laisser l’installeur se charger de tout. C’est uniquement plus compliqué si on désire avoir plusieurs systèmes sur la même machine, ce qui n’est pas nécessaire et la source de la complexité vient en général de Windows, pas de Linux↩︎

  4. Sur Debian, la distribution dont découlent Linux Mint et Ubuntu, les nouvelles versions, ou nouveaux programmes, passent par les étapes suivantes: experimental; unstable (sid); testing; stable. Si aucun bug n’est remarqué, le programme peut “migrer” vers l’étape suivante et donc être proposé aux utilisateurs et utilisatrices de cette version du système. Évidemment, il est toujours possible d’installer des programmes venant d’une autre version, ou même d’ailleurs, mais c’est à nos risques et périls. Évidemment dès qu’on est à l’aise avec le système, on le fait assez régulièrement. J’ai personnellement des programmes venant de testing, stable et unstable sur mon système et tout va bien. ↩︎