Dans cet article, pour changer, j’utiliserai le féminin générique.

Cela fait maintenant plusieurs années qu’à chaque fois que je vois un youtubeur ou une youtubeuse1 se plaindre de la manière dont Google (oui, YouTube appartient à Google) gère leurs vidéos et les respecte je me demande ce qui empêche de passer sur une alternative..

# Les alternatives

Alors, à l’époque, les anciennes se souviendront, il y avait d’autres plateformes du type Dailymotion ou Vimeo, globalement maintenant une grosse partie passe par YouTube, sauf pour le live qui lui est principalement chez Twitch. Les choses évoluent vite, il y a d’autres acteurs comme les réseaux sociaux qui poussent également à mettre du contenu vidéo, mais la problématique est, de mon point de vue, toujours la même. Sauf avec le petit dernier en date, PeerTube, j’en parlerai plus tard.

# Le business model

C’est toujours pareil2, les plateformes se servent du contenu généré par les utilisatrices pour gagner de l’argent. Alors ça peut paraître évident, pourtant si vous avez besoin de créer un nouveau site internet et que vous décidez d’aller, par exemple, chez Infomaniak pour l’héberger, vous payerez le coût d’hébergement et Infomaniak ne gagnera rien sur votre dos. C’est pareil si vous devez louer une arcade pour votre entreprise d’élastiques en terre cuite. Le business model de ces entreprises repose sur la capacité des utilisatrices à générer du contenu et à pouvoir vendre, grâce à ce dernier, des espaces publicitaires à d’autres entreprises. C’est comme ça que fonctionne la quasi-totalité des services “gratuits”3.

# Le problème

Mon problème avec ce système est que les réelles clientes ne sont pas les utilisatrices, ce sont les agences publicitaires. Sachant cela, les entreprises comme YouTube ont tendance à plus s’occuper du bien-être des agences publicitaires que de celui des utilisatrices. Ce qui découle sur des frustrations de la part des vidéastes.

# Le dernier cas en date

Si vous ne connaissez pas le travail de Viviane, de la chaine Scilabus, je vous le conseille. Elle fait des superbes vidéos toutes plus intéressantes les unes que les autres.

Le 30 mars, elle met une nouvelle vidéo sur sa chaîne. Tout se passe bien pendant les premières minutes de sa mise en ligne et après une vingtaine de minutes, la vidéo n’est plus proposée sur les flux d’abonnements des utilisatrices de la plateforme. Elle se plaint et interpelle les employées de YouTube par le réseau social Twitter4. Tout est lent et les réponses sont comme souvent faiblement satisfaisantes :

Le help center de Youtube m’a répondu et a transféré mon dossier à qq’un d’autre. En attendant, ils me proposent de lire la FAQ sur “Search & Discover”.

Le problème est résolu plus de trois jours plus tard. Sachant que dans ce monde, les premières heures sont cruciales car c’est à ce moment-là que l’algorithme met en avant les vidéos et les flux d’abonnements sont classé par date de publication, donc si la vidéo est masquée pendant les premières heures, elle se retrouve derrière du contenu plus récent, les utilisatrices ont donc tendance à ne pas aller les voir.

Bref, cette fois j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai demandé à Viviane si elle avait déjà envisagé de passer sur une autre plateforme. Elle m’a répondu qu’en venant de voir ce que donnait une publication sans promotion, elle ne pouvait pas envisager de le faire sur une plateforme moins connue.

J’ai bien vu ce que ça donnait une vidéo qui ne bénéficiait pas du système de recommandation de YT… C’est du travail qui tombe dans l’oubli…

J’entends parfaitement son argument et je suis convaincu qu’il est justifié. Je profite donc de cet événement pour exprimer mon point de vue sur le sujet. Bien évidemment, ce n’est pas une attaque contre Viviane, c’était juste l’occasion de remettre la discussion sur le tapis.

# La rémunération sur YouTube

Je parle ici en tant que non-créateur, il me manque certainement plein d’infos mais je vais faire au mieux.

Il faut savoir que l’algorithme de YouTube (ou des autres plateformes) met en avant tout ce qui encourage à rester sur la plateforme. Également que maintenant les youtubeuses peuvent définir où vont apparaître les publicités dans leurs vidéos, afin d’éviter que ça coupe au mauvais moment, sachant qu’il n’est plus possible de ne pas avoir de pub dans une vidéo. La rémunération dépendant de ces publicités, il est difficile de faire une généralisation du revenu.

Donc, comment YouTube rémunère ses créatrices. La question est, contrairement à l’adage, pas vite répondue, mais on peut considérer que c’est environ 1 € qui est redistribué pour 1 000 vues. Ce qui donne, pour un compte similaire à celui de Vivianne, environ 100 € par vidéo (100 000 vues par vidéo en général).

La plateforme n’est donc pas utilisée pour sa rémunération5, mais plutôt pour la visibilité qu’elle donne au contenu, ou alors je n’ai pas compris le business model de Viviane. En effet, mettre sa vidéo sur son propre site ne permet pas de la faire circuler aussi bien que sur une plateforme comme YouTube et par les suggestions d’autres personnes externes au public de base pourrait tomber dessus. Bien évidemment, c’est au bon vouloir de l’algorithme6

Du coup, comment sont rémunérées les youtubeuses? Avec des dons, avec des partenariats commerciaux (déguisés ou non) ou encore avec des sponsors. Il y a également beaucoup de vidéastes qui font ça sur leur temps libre, qui décident donc sciement d’offrir du revenu à YouTube. Pour l’exemple, Vivianne reçoit un peu plus de 1 000 € par mois de dons, après les cotisations sociales et les impôts, j’imagine que ce n’est pas grand-chose mais ça reste bien supérieur à ce qu’elle touche avec YouTube, sachant qu’elle sort une ou deux vidéos par mois, donc entre 100 et 200 € mensuels.

# Mon avis

Il me semble que le problème est lié au fait qu’on n’a pas vraiment confiance, à juste titre vu que Google n’a que peu d’intérêt envers les utilisatrices de sa plateforme, en YouTube alors qu’on lui demande de faire la promotion de notre travail. C’est comme si je travaille pour un patron qui peut décider de me jeter du jour au lendemain, ah mince c’est souvent le cas… Bah là c’est poussé à l’extrême, une petite erreur d’algorithme et hop la visibilité de ton travail est réduit à zéro.

Du coup c’est quoi la solution, garder la carotte de la visibilité ou s’en passer? Sachant qu’il est maintenant aisé d’utiliser et installer un serveur PeerTube, un système décentralisé proche de ce que propose YouTube, je pense qu’il est nécessaire que les vidéastes se libèrent de la dépendance à ce monstre qu’est Google. Malheureusement, comme expliqué par Viviane, ce n’est pas si simple que ça car la perte de visibilité fait peur. Il y a heureusement de très bons exemples, comme Dimitri, de la chaine Monsieur Bidouille, qui met en parallèle toutes ses vidéos sur sa propre chaine PeerTube. Alors oui, il apprécie assez de mettre les mains dans la cambouis mais c’est largement faisable de se regrouper à quelques vidéastes et de payer pour un hébergement7. De plus, en gardant sa chaine YouTube pour le moment, il ne perd pas trop de visibilité, mais il permet à une alternative plus éthique de se développer et se garde une porte de secours si demain les conditions d’utilisation de la plateforme changent.

Il me semble important de sortir de cet état d’esprit fataliste qui justifie la présence de YouTube car c’est le seul. Forcément, il faudra des premières à s’émanciper, mais c’est peut-être une bonne occasion de revenir à une relation plus saine entre les consommatrices, les productrices de contenu et les plateformes d’hébergement. En gardant en tête que ces trois actrices sont importantes et nécessaires.

C’est une discussion générale dans notre monde actuel ultra-centralisé avec des énormes entreprises qui sont en position de monopole. Je suis convaincu qu’il faut trouver une solution pour supprimer ces monopoles, c’est ce que proposent les services décentralisés comme PeerTube, si demain Monsieur Bidouille décide d’arrêter son instance, cela n’aura aucune incidence sur les vidéos du Canard Réfractaire ou n’importe quelle autre instance. Au même titre que si demain j’arrête mon serveur mail, cela n’empêchera pas les autres serveurs mails de continuer à fonctionner, seules mes adresses seront inaccessibles. Alors que si GMail (Oui, encore Google…) coupe son service, c’est des millions de personnes qui sont impactées.

# Conclusion

Bref, n’hésitez pas à me partager vos réflexions et pistes de solutions sur cette problématique de centralisation des vidéos. Il me semble important, encore plus depuis notre weekend de réflexion sur le logiciel libre organisé par La dérivation, de nommer le capitalisme comme responsable de ces dérives.

Ah, si jamais PeerTube vous intéresse mais que vous ne savez pas comment chercher des vidéos dessus, jetez un œil à Sepia Search, le moteur de recherche de PeerTube. Laissez-lui une chance de vous surprendre.


  1. En général, je m’efforce de parler de vidéaste plutôt que de sa version “corporate” mais là il est bien question de personnes vivant uniquement de et sur YouTube, donc je risque souvent d’utiliser ces appellations. ↩︎

  2. Sauf peut-être avec Vimeo, ce dernier étant payant pour les créatrices de contenu, de 6 à 68 chf par mois. ↩︎

  3. Et oui, Facebook, Google, Twitter, Instagram et consort se rémunèrent en vendant votre capacité à être influencées par des annonces publicitaires. ↩︎

  4. Ayant récemment eu des problèmes avec LinkedIn, j’ai également dû passer par Twitter pour avoir une réponse (non satisfaisante, mais bon). On pourrait parler pendant un bon moment de la problématique de devoir passer par une autre plateforme pour contacter le service clientèle, mais passons… ↩︎

  5. J’imagine que certaines chaines arrivent à se tirer un salaire correct avec les publicités uniquement, mais je pense que ce n’est pas la majorité, et de loin. ↩︎

  6. En réalité, c’est au bon vouloir des personnes qui codent cet algorithme, il ne se fait pas tout seul. Et gardez en tête que son seul objectif est de maximiser les revenus de YouTube↩︎

  7. Oui, le Web ce n’est pas gratuit, d’ailleurs YouTube ne l’est pas, c’est juste qu’on ne voit pas passer la facture. En réalité les vidéastes sont des bénévoles pour Google qui produisent le contenu à vendre aux clients, les annonceurs. ↩︎